Douleur Chronique, un message adressé. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.



Toute douleur qui s’exprime a besoin d’être accueillie, considérée, reconnue. A fortiori si celle-ci est chronique et racontée lors d’un accompagnement en hypnose. Ecouter et favoriser le message de la « personne douloureuse » contribuent à donner du sens au chemin thérapeutique partagé.


La douleur d’une personne est « un fait anthropologique et non pas seulement un accident biomédical » (1). C’est l’expérience subjective d’un homme vivant parmi les autres hommes. Cette expérience, liée à sa culture, à son histoire, aux circonstances et aux enjeux, altère la personne ; laquelle se trouve alors changée et dégradée. « (...) j’étais changé » (2), écrivait André Gide. La douleur s’impose sans pouvoir être repoussée, refoulée. « L’émergence de la douleur est une me- nace redoutable pour le sentiment d’identité » (3). Lorsque cette expérience devient intense, la douleur « retire (l’homme) du monde », selon les termes de Hannah Arendt (4) ; jusqu’à parfois laisser percevoir l’ombre portée de la mort.

Comme pour Georges Canguilhem, « il nous paraît tout à fait important qu’un médecin proclame que l’homme fait sa douleur comme il fait une maladie ou un deuil – bien plutôt qu’il ne la reçoit, ou ne la subit » (5). Méfions-nous de tenter d’objectiver la douleur avec pour projet de la mesurer, de la discerner pour tenter de la maîtriser : illusion scientifique réductrice et déshumanisante. Nous ne rencontrons jamais une douleur mais toujours une personne douloureuse. Ne confondons pas un symptôme avec l’expérience singulière d’une personne riche de son histoire et de sa culture.


« Expérience intime et incommunicable » (6), la douleur est pour autant indéniable même lorsqu’elle est dite chronique, vécue depuis plus de six mois, et inexplicable objective- ment. Cette douleur dite chronique, ou plus exactement cette personne douloureuse de- puis plus de six mois, changée et dégradée, se plaint à une autre personne, c’est une adresse à autrui, un message adressé... Comment accueillir ce message ? Comment en rechercher le sens ?

COMMENT ACCUEILLIR CE MESSAGE ?

Nous devons accueillir ce message adressé, ce que la personne douloureuse raconte de son histoire et de son vécu : ce qu’elle dit et ce qu’elle montre. Cette narration est primordiale, première, signifiante et médiatrice.

Primordiale car elle est constitutive de la nature humaine. Sans cette possibilité de raconter et de se raconter, l’homme serait pauvre en relation alors qu’il est constitutionnellement un être de relation. Nous rencontrons toujours une autre personne « au travers » d’innombrables interactions subjectives réciproques, singulières pour chacun ; rencontre imprévisible et modelée par les enjeux et les circonstances.

Première car toute personne, sujet agissant et souffrant, ne raconte pas seulement ce qu’elle expérimente – quoi ? – et la raison pour laquelle elle le raconte – pourquoi ? –, elle se raconte elle-même, elle fait part de son identité par la narration ; c’est l’identité narrative décrite par Paul Ricoeur (7). C’est-à-dire que la personne se désigne elle-même non pas seulement par qui suis-je ? mais aussi par que suis-je ? C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement d’écouter, mais aussi et sur- tout d’accueillir cette narration au sens d’être présent, disponible, attentif et intéressé.

Signifiante car, radicalement subjective par nature, vive, vivante, la narration fait advenir un sens ; certes non sans parfois des difficultés et des incertitudes quant à la mise en œuvre de cette narration. Celle-ci permet de transformer les forces de la vie intime en leur donnant une sorte de réalité, une certaine apparence, un sens. La narration permet d’éclairer « ce symptôme (douleur) par le discours de ce patient et ne plus lire à travers la grille scientifique qui réduit chaque corps à un corps anonyme » (8). Toute maladie et toute douleur représentent aussi un phénomène socioculturel signifiant qui pourra se dévoiler au travers de la narration.

Médiatrice car la narration trouve ici un rôle majeur pour permettre à la personne douloureuse de cheminer en éclairant une autre personne qui lui offre une disponibilité d’accueil et l’écoute : une médiation interhumaine bénéfique et féconde ; une algologie narrative. En s’appuyant sur son imagination, ses représentations, sa culture et ses expériences douloureuses antérieures, la personne tente toujours de dire quelque chose de ce qu’elle éprouve. Encouragée et soutenue, la narration devient médiatrice en ouvrant la possibilité à l’informe de progressivement prendre une forme singulière ; en cela elle porte un potentiel de liberté (9).

EN PRATIQUE

• S’arrêter : arrêter toute activité en cours pour accueillir celui qui vient à nous.
• Ecouter : ne pas l’interroger mais se taire pour lui permettre de déployer sa narration. Ne pas rassurer, ni interpréter, ni conseiller : écouter !
• S’intéresser à ce que la personne raconte en manifestant notre intérêt.
• Repérer prudemment dans cette narration ce qui pourrait éclairer le sens de ce message adressé.

COMMENT EN RECHERCHER LE SENS ?

Pour permettre que la rencontre de la personne douloureuse chronique soit bénéfique et apaisante, nous devons lui permettre de rechercher le sens du message indicible qu’elle adresse à autrui sous la forme de douleurs chroniques.

Pour lire la suite...

NOTES
1. Simonnet G., Laurent B., Le Breton D., « L’Homme douloureux », Odile Jacob, 2018, p. 9.
2. Gide A., « L’immoraliste », Mercure de France, « Folio », 1902, p. 60.
3. Le Breton D., « Anthropologie de la douleur », Métailié, 1995, p. 25.
4. Arendt H., « Condition de l’homme moderne », Calmann-Levy, « Pocket », 1983, p. 91.
5. Canguilhem G., « Le normal et le pathologique », op. cit., p. 56.
6. Illich I., « Némésis médicale. L’expropriation de la santé », Fayard, 2003, p. 238.
7. Ricoeur P., « Approches de la personne », Revue « Esprit », mars-avril 1990, pp. 115-130.
8. Raimbault G., « Clinique du réel, la psychanalyse et les frontières du médical », Seuil, 1982, p. 27.
9. Reynier G., « Le hors-temps de la douleur chronique », Revue « Topique », 2010, n° 112, p. 99-117.
10. Husserl E., « Sur l’intersubjectivité », op. cit., tome II, p. 323.
11. Màrai S., « La sœur », Albin Michel, 2011, p. 221.

Pr Gérard OSTERMANN

Professeur de thérapeutique, médecine interne, psychothérapeute. Administrateur de la Société française d’alcoologie, responsable du diplôme d’université de Pathologie de l’oralité, Bordeaux 2.

Dr Charles JOUSSELLIN

Médecin et philosophe, chef de service de soins palliatifs, CHU Bichat - Paris (France),

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N°75 : Nov. / Déc. 2024 / Janv.  2025

Les interactions pour favoriser un changement.

Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :

Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.

Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.

Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.

L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.

David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.

Introduction Espace Douleur Douceur.

Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.

Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.

Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.

A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.

Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.

Les rubriques :
Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
Adrian Chaboche : La présence
Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
Psychotrauma, PTR, EMDR
Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
Livres en bouche
Résumé

Président de l'Institut In-Dolore. Président du CHTIP Collège Hypnose Thérapies Intégratives… En savoir plus sur cet auteur


Rédigé le 23/04/2025 à 17:53 | Lu 152 fois modifié le 25/04/2025



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