Hypnose Médicale
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Quand tout bascule… L’AUTOHYPNOSE




photo © Michel Hidalgo/Samithami
photo © Michel Hidalgo/Samithami
Il est 8 h 30 ce samedi 10 juillet 2020. J’ai rendez-vous avec le cardiologue pour une épreuve d’effort de routine. Je me sens en pleine forme, d’autant que depuis plusieurs mois je roule régulièrement à vélo et fais des joggings chaque semaine. J’attends donc ce test avec impatience afin de me préparer au mieux à des vacances sportives : vélo et randonnée pédestre sur l’île d’Oléron et dans le massif du Sancy en Auvergne. « Monsieur Evers, il y a un problème et afin d’y voir plus clair, je vous recommande une coronarographie rapidement. » Premier coup de semonce : que m’arrive-t-il ? Un rendez-vous est pris trois jours plus tard dans l’hôpital où je travaille et où tous ceux qui me connaissent se demandent ce que je fais là sur un lit. Moi qui véhicule une étiquette de sportif, je me retrouve « de l’autre côté du miroir ». Je suis devenu un patient avec toutes ses inquiétudes et ses questions, même si au fond de moi une pensée domine : ce n’est rien de grave, vivement les vacances dans quelques jours. Arrive le deuxième coup de semonce de la bouche d’un autre cardiologue qui a pratiqué la coronarographie : « Monsieur Evers, nous avons trouvé deux sténoses à 90 % au niveau des artères coronaires, mais vu leur emplacement la pose de “stents” serait très compliquée. Les pontages semblent être la meilleure solution. Le chirurgien va passer dans votre chambre pour vous expliquer plus en détail. » C’est là que tout bascule. Sous le choc, le stress me fait réagir très rapidement et prendre des décisions dans des délais très brefs. Ce qui m’arrive, je ne l’ai pas choisi, mais je veux choisir mon attitude et ma manière de vivre ces événements. Dans les lignes qui suivent nous allons voir comment l’autohypnose m’a été aussi utile dans ces moments inattendus.

APRÈS CES COUPS DE SEMONCE, COMMENT TENIR LE COUP ?

La première pensée qui a traversé mon esprit était qu’il fallait que je sois « présent » aux événements qui m’attendaient et que je sois acteur, autant que possible, de tout ce que j’allais vivre. Bien qu’effrayé par les nouvelles que je recevais, j’ai choisi de traverser les événements qui se présenteraient comme une initiation, comme un rituel de passage vers une nouvelle vie. Tout étant nouveau, je peux en effet parler d’un processus initiatique et j’ai décidé d’en retirer un apprentissage, un bénéfice pour le futur. Je sentais bien qu’un futur m’attendait, mais lequel ? Pendant la coronarographie j’ai mis en application ce que j’enseigne aux patients qui viennent me voir pour des séances d’hypnose en kinésithérapie : « Soyez attentif par vos cinq sens à tout ce qu’il y a autour de vous, puis focalisez votre attention sur l’intérieur de vous, à la recherche d’une sensation qui vous convient et laissez cette sensation se développer et voyager à l’intérieur de votre corps. » Allongé sur la table pendant l’examen, le temps m’a semblé passer vite et de manière très confortable.

Mon corps était présent dans la salle d’intervention, mais mon esprit était ailleurs, dans le calme et le confort de sensations respiratoires apaisantes qui m’ont permis de retrouver des moments agréables passés en famille. Physiquement, j’étais à la fois présent dans mon corps qui était là sur la table, et en même temps absent de toute sensation car mon esprit était dans un endroit tellement sécurisant que le « mental » prenait le dessus sur les « sensations physiques ». Mon cerveau était capable d’émettre du positif tout en filtrant les perceptions qu’il recevait.

Après le deuxième coup de semonce, pour continuer de tenir le coup et pour construire une réalité que je pouvais supporter, j’ai décidé de me projeter dans le futur. Cette anticipation s’est alors appuyée sur ce que je ressentais « ici et maintenant ». N’ayant aucune douleur, ni sensation désagréable (pas d’angor ni de difficulté respiratoire), le fait d’accueillir les sensations physiques était totalement envisageable pour moi, et m’apportait même un sentiment de calme profond. Je pouvais facilement me concentrer sur une « partie saine » de mon corps et m’appuyer sur elle pour créer un pont vers le futur. C’est ainsi que je m’imaginais régulièrement après l’opération, accomplissant mes activités habituelles. Toutes ces pratiques autohypnotiques m’ont permis d’arriver plus serein le jour de l’intervention. En entrant dans le quartier opératoire, je me sentais toujours acteur et présent vis-à-vis de tous les événements que je découvrais, et une fois installé sur la table, j’avais décidé qu’il me suffisait de me laisser aller, sans résistance, sans lutte, ne contrôlant que ma respiration qui me berçait, ce que j’ai pu faire en toute confiance.

L’INITIATION, DÉCOUVERTE DE QUELQUE CHOSE DE NOUVEAU : L’OPÉRATION ET L’ANESTHÉSIE TOTALE

Vient ensuite un grand moment d’absence. Absence de contrôle, de perception, de souvenirs et heureusement de sensations douloureuses. Quatre heures cinquante et une minute de totale absence, de perte de conscience. Dans mon cas, même pas le souvenir d’un rêve ni d’une pensée. Juste une pause sans notion de temps ni d’espace ; pas de traversée ou de perceptions déformées (Philippe Labro), ni de voyage dans l’inconscient (Diane Chauvelot). Et pourtant mon corps était là, sous l’attention de toutes les personnes qui s’occupaient de moi : chirurgiens, anesthésistes et autres. Mon corps était là pour eux mais aussi pour tous ceux qui pensaient à moi : ma famille et mes proches qui décomptaient les heures, attendant un appel téléphonique ; mon corps était présent dans leurs pensées mais plus dans les miennes.

Lors de la phase de réveil, mon esprit flottait librement et sereinement pendant que mon appareil psychique commençait à reprendre contact avec l’extérieur, je retrouvais petit à petit la possibilité d’« être là ». La première chose dont je me souviens, c’est la présence de quelqu’un à côté de moi, sur ma gauche, quelqu’un que je ne connaissais pas et qui petit à petit cherchait à établir un contact avec moi tout en réalisant les actes qu’il devait faire. La voix près de moi était celle d’un homme. La deuxième fois que je l’ai entendue, il m’a semblé mieux la reconnaître et que je pouvais lui parler, mais quand j’ai essayé, j’ai senti dans ma gorge le tuyau qui s’y trouvait encore. Je me suis alors rappelé ce que l’on m’avait indiqué avant l’opération : au réveil vous aurez un tuyau dans la bouche, surtout n’y touchez pas. Mon attention et mon éveil continuaient leur progression, puisque j’arrivais à retrouver certains éléments dans ma mémoire en me rappelant ce qu’on m’avait dit à propos de l’intubation. Il devait être 17 h 30 quand j’ai reçu la première visite. Dans cet état semi-comateux, je n’avais donc aucune idée du temps ni de l’espace où je me trouvais, mais m’étant préparé avant l’opération à ces retrouvailles par mes exercices de progression vers le futur, revoir ma famille serait la preuve que j’étais vivant. Je venais de franchir la première étape de ma nouvelle vie.

Continuant la pratique de l’autohypnose chaque fois que ma conscience et mon éveil le permettaient, les heures passaient et mon réveil se poursuivait dans les meilleures conditions. Jusqu’au moment où pendant la nuit j’ai été victime d’une crise de panique (3) pour laquelle mon autohypnose n’était plus efficace. Cette expérience « de l’autre côté du miroir », du côté des patients, m’a ramené à une forte humilité : l’autohypnose malgré son efficacité comporte des limites, plus j’essayais de me calmer, plus la panique m’envahissait. Il me manquait quelque chose. Ce que je pratiquais jusque-là seul, sous forme d’autohypnose, me permettait d’utiliser et de renforcer ce que je connaissais déjà, mais pour affronter cette nouvelle expérience totalement inconnue tant physiquement que mentalement, il me manquait la présence d’une personne extérieure, d’un guide, d’un repère.

C’est celle d’un de mes anciens étudiants en kinésithérapie qui me fut salvatrice. Quand je l’ai vu près de moi, et quand j’ai entendu sa voix rassurante et bienveillante, j’ai pu retrouver un peu de calme et de confiance qu’il me fallait pour sortir de cet inconfort envahissant. A cette présence était associée la possibilité d’écrire, nous l’avions fait lors d’un de ses passages précédents, je pouvais donc être plus précis dans ce que je voulais exprimer et des réponses plus efficaces pouvaient être apportées à ce que je ressentais. J’ai écrit que j’avais peur de mourir car j’avais l’impression de faire une fausse déglutition avec ce tuyau dans le bouche. Le fait d’écrire et donc d’être actif, le fait de sentir la présence rassurante et d’autres circonstances dont j’ai du mal à me rappeler, m’ont replongé dans un « endroit de sécurité » et ont favorisé la disparition progressive de ce mal-être.

Replongeant lentement dans une certaine léthargie suite au traitement qui a été ajouté, peut-être dans une sorte d’hallucination, Marc Galy m’est apparu. Il est venu dans mes pensées à un moment où je ne l’attendais pas mais quand j’en avais réellement besoin. Cet anesthésiste, hypnopraticien lui aussi, que j’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises et à propos de qui je me suis souvent dit : « si j’avais besoin d’un anesthésiste, c’est quelqu’un comme Marc qu’il me faudrait », était à côté de moi. Etait-ce un rêve, une hallucination, une envie subconsciente, pourtant il était là. Présent pour moi. Comme il le dit lui-même, sans rien attendre en retour. Juste « une rencontre qui demande la présence de chacun » . Il était là pour moi, j’étais là avec lui et tout me semblait si normal, si naturel. Combien de temps a duré cette expérience ? Où étions-nous ? Je n’en sais absolument rien, mais je sais que ce moment à la fois réel, puisque vécu ainsi, et imaginaire, puisque je sais maintenant que Marc n’était pas avec moi, m’a fait autant de bien qu’il le fallait et m’a permis de poursuivre mon évolution.

Très curieusement, je me suis rappelé ce détail quelques jours plus tard, ayant retrouvé la plupart de mes facultés mentales, un matin sur mon lit d’hôpital, lorsque j’ai retrouvé le livre Etre là que j’avais emporté avec moi pour cette hospitalisation. De retour dans le service de chirurgie cardiaque, très rapidement je me suis mis debout, j’ai marché dans la chambre, puis dans les couloirs de l’hôpital et même dans les escaliers, que j’utilisais quelques jours auparavant. Je me sentais de plus en plus revivre.

QUE RETENIR DE TOUT CELA ?

Je pourrais revenir sur chaque étape depuis le premier coup de semonce jusqu’à aujourd’hui, mais je vais présenter trois éléments qui m’ont le plus marqué dans cette « initiation » : l’anticipation positive, la présence et le contrôle de l’attention. Lorsque j’ai décidé d’être actif en focalisant mon attention sans la laisser être envahie par des pensées négatives, je les ai dirigées vers ce que j’espérais (du positif) plutôt que de les laisser dériver d’elles-mêmes vers ce que je pouvais craindre (du négatif) : la peur de mourir, d’avoir mal, toutes les questions normales et habituelles que l’on peut se poser dans pareille situation. D’ailleurs je me les suis posées moi-même, mais dès que je sentais la moindre tension physique apparaître, je contrôlais mon attention en la fixant sur ma respiration, calmement, et en me projetant vers le futur que j’espérais. C’est ce contrôle de l’attention de manière positive, accompagné par de l’autohypnose corporelle simple sur mes « parties saines » (VAKOG), qui a permis à mon corps et à mon esprit de passer au travers et sans encombre de la plupart de ces événements. Toute cette « anticipation positive » n’aurait jamais été possible s’il n’y avait eu la « présence » bienveillante de toutes les personnes qui ont été concernées par ce qui m’est arrivé : la famille proche et éloignée, les amis, les collègues, tout le personnel soignant depuis les brancardiers aux aides-soignant-e-s, en passant par les infirmier-e-s, kinésithérapeutes, cardiologues, chirurgien-ne-s, anesthésistes et ceux que j’oublie, jusqu’à cette présence hallucinée de Marc Galy. Toutes ces présences m’ont donné et me donnent encore une énergie qui me renforce dans ce combat pour la vie. Grâce à vous, je suis là et je peux écrire ce texte tout en continuant ma route. MERCI !

LUC EVERS Kinésithérapeute psychocorporel. Pratique l’hypnose et les méthodes de relaxation depuis plus de trente-cinq ans en milieu hospitalier et en milieu sportif. Spécialisé en gestion du stress et des troubles psychosomatiques. Assistant à l’Université libre de Bruxelles, en Faculté des sciences de la motricité, et membre du Laboratoire de psychophysiologie de la motricité. Formé à l’hypnose et aux thérapies brèves à l’Espace du Possible (Tournai) et à l’IMHEB (Bruxelles). Coordinateur scientifique de la formation en hypnose au CREA (Bruxelles) et du certificat d’hypnose du Pôle santé de l’ULB (Bruxelles).

Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°60

Février Mars Avril 2021

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Papa, maman, le psy et moi. Comprendre le travail transgénérationnel. Bogdan Pavlovici nous invite avec humour à une séance de thérapie familiale

Peur du vide. Quatre situations cliniques. Nathalie Koralnik utilise l’approche de Palo Alto et nous donne des stratégies précises pour affronter la peur du vide.

La poésie, une alliée hypnotique. Pour se séparer de ce qui nous fait souffrir. Nicolas d’Inca

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L’attente, une infusion dans le temps : Isabelle Devouge et Marc Galy

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- Quand tout bascule. Luc Evers, passé brutalement du statut de thérapeute à celui de patient témoigne de son expérience et de son utilisation de l’autohypnose avant, pendant et après son opération

Dossier : hommage à Ernest Rossi

Un chercheur en action. Dominique Megglé

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L’art de l’induction de transe et de l’accompagnement dans le processus hypnotique par le questionnement. Wilfrid Martineau

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Laurent GROSS
Président de l'Institut In-Dolore. Président du CHTIP Collège Hypnose Thérapies Intégratives Paris.... En savoir plus sur cet auteur



Rédigé le 26/04/2021 à 00:09 | Lu 1709 fois modifié le 26/04/2021




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